Claire Thoury, invitée au Colloque de l’Observatoire : « dans les territoires, les associations adoucissent les vulnérabilités »
Dans la lignée des alertes et appels à mobilisation du monde associatif, l’Observatoire des Restos consacrait son colloque annuel aux enjeux et défis de la vie associative française, mercredi 15 octobre dernier. Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, figurerait parmi les grands représentants du monde associatif et de la société civile y participant. Interview.

En ces temps de tensions et de fractures sociétales, l’événement convoque de grandes voix de la solidarité et de la société civile autour d’un même constat : avec 1,4 million d’associations, 20 millions de bénévoles et 1,8 million de salariés, le monde associatif assure une stabilité essentielle au pays. Il fédère une communauté de valeurs et d’engagement, et œuvre pour un vivre-ensemble au-delà de l’incroyable diversité du paysage associatif français.
Mis à mal par les crises successives – sanitaire, économique et politique -, le tissu associatif français est exsangue. Thoury est présidente du Mouvement associatif, qui représente près de 700 000 associations, soit une association sur deux en France. Le mouvement associatif appelait à la mobilisation ce 11 octobre. « Si pour la première fois, les associations ont décidé de descendre dans la rue, c’est parce le système ne tient plus. », pose la sociologue.
« En 2024, 489 associations ont fait l’objet de liquidation, ce qui représente une hausse de 50% en deux ans. C’est un véritable carnage. Et depuis le 1er janvier 2025, on déplore déjà 462 liquidations d’associations. Un record !
Notre dernière étude réalisée en septembre montre que la situation financière des associations est extrêmement préoccupante : un tiers a moins de trois mois de trésorerie, 35% déclarent que la baisse des financements impactent leurs activités (suppression ou diminution des actions conduites ), 23% ne remplacent pas les départs de salariés et 16% annulent ou reportent les recrutements etc… Et derrière ces chiffres, ce sont des gens !
Il faut absolument s’organiser et faire entendre notre voix auprès des pouvoirs publics et des citoyens pour sauver ce trésor national que sont les associations en France. Un cas unique en Europe, voire dans le monde ! Un trésor national, il faut l’entretenir, il faut le protéger, il faut le faire vivre. »
Mais que s’est-il passé pour qu’on en arrive là ?
Les associations en général, comme les « Restos du Cœur », ont dû faire face à une succession de crises sans précédent. Sanitaire avec le Covid qui a entraîné une baisse des adhésions. Inflationniste qui a augmenté les coûts et les besoins. Budgétaire et politique qui causent une instabilité permanente. Mais ce n’est pas l’unique raison.
Quelles sont les autres?
La bascule commence à se faire sentir depuis 2005, date à laquelle la part de la subvention dans les budgets des associations a diminué au profit de la commande publique qui est davantage là pour répondre, comme son nom l’indique, aux besoins identifiés par la puissance publique.
Aujourd’hui, les subventions ne représentent plus que 20% du budget des associations. Elles étaient de 40 % auparavant. Or une commande publique doit répondre à une demande des collectivités. Celles-ci ont l’obligation de faire jouer les règles de la concurrence, en ouvrant leurs marchés publics, y compris aux entreprises privées, bien loin de l’esprit et du mode de fonctionnement des associations.
On ne finance plus la même chose. On le voit partout en France, dans les régions, les départements, les municipalités où les coupes budgétaires se multiplient sur des projets, notamment culturels qui ne plaisent pas à la majorité politique en place. La subvention soutient l’initiative citoyenne, pas la commande publique. La restaurer est une urgence démocratique.
Il faut ajouter à cela la loi du 24 août 2021 sur les libertés associatives visant à conforter le respect des principes de la République.
Mise en place après la mort du professeur Samuel Paty, la loi sur le séparatisme se voulait pourtant une loi plus protectrice ?
Chaque association doit désormais signer un contrat d’engagement républicain. Une belle idée qui malheureusement, elle aussi, a été dévoyée. Par ce contrat, l’association s’engage à ne pas troubler ou contribuer à perturber l’ordre public.
Il ne s’agit pas de dire que l’on ne veut pas lutter contre les séparatismes, il s’agit de dénoncer la façon dont les associations sont traitées. Chaque association doit désormais signer une contrat d’engagement républicain pour être financée ou agrée qui n’a de contrat que le nom et qui est dénoncé par les acteurs.
Parmi les principes de ce contrat, certains sont frappés au coin du bon sens, mais d’autres sont extrêmement problématiques, notamment celui relatif à l’ordre public avec des conséquences qui peuvent s’avérer grave à moyen terme.
Par exemple, lorsqu’ACT UP met son préservatif géant place de la Concorde à Paris, cela peut être considéré comme un trouble à l’ordre public. Or on sait à quel point le rôle des associations a été décisif pour faire avancer la recherche sur le sida et on les en remercie aujourd’hui.
Le contrat d’engagement républicain introduit une forme de défiance envers l’action des associations, contrairement à la loi de 1901 où la liberté était la règle dans un cadre légal clair. Cela a ouvert une boite de Pandore, même si l’objectif initial n’était pas de brider les associations, c’est devenu un moyen de pression parfois problématique. Rappelons-le, les associations ne sont pas là pour faire plaisir aux pouvoirs publics.
Quelles seraient vos pistes pour repenser le paysage associatif en souffrance ?
Il faut penser le monde associatif autrement. Et notamment sanctuariser son financement. Contrairement aux syndicats ou aux partis politiques, on n’a jamais pensé le financement du monde associatif. Or les associations sont absolument partout. Et si la loi de 1901 reconnaît un droit de l’individu, il est temps de reconnaître la place du tissu associatif dans la société.
Avec plus de 20 millions de bénévoles et 1,8 million de salariés, le monde associatif est une des forces vives les plus actives de notre pays. Quand vous pensez que 90% des clubs de sport sont des associations et que vous connaissez les conséquences de la sédentarité sur la santé physique et mentale des jeunes et des moins jeunes, l’utilité du soutien aux associations n’est plus à démontrer. C’est pareil pour la culture, l’éducation populaire, le sanitaire, le social etc… Faire des économies sur le dos des associations aujourd’hui entrainera mécaniquement des dépenses demain. Je le redis, cela n’a pas de sens.
Pas sûr qu’en haut lieu, on soit vraiment conscient du rôle des associations qui rendent la vie plus belle dans les territoires, adoucissent les vulnérabilités et contribuent au maintien fragile de l’équilibre social. Cela concerne tous les citoyens, ça ne se résoudra pas par magie, ni par miracle.